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L'Atelier

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Un petit collectif, comme dans “Les Sanguinaires” ou Foxfire ; une situation de transmission générationnelle conflictuelle, comme dans Ressources humaines ou Entre les murs ; des jeunes, comme dans Tous à la manif : pas de doute, avec L’Atelier, on est bien dans un film de Laurent Cantet, cinéaste qui fait toujours “le même film”, mais, chaque...


Detroit

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1967 : alors que la guerre du Vietnam fait rage, les Etats-Unis bouillonnent, comme une Cocotte-Minute, sur plusieurs feux croisés : opposition à la guerre, lutte pour les droits civiques, injustices sociales et raciales, violences policières. A la suite d’un contrôle arbitraire et brutal de trop, la communauté noire de Detroit s’enflamme, deux ans après celle de Watts. Au cœur des émeutes, un épi...

Numéro une

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Il n’y a pas de femme pdg dans le CAC 40. Tonie Marshall est la première réalisatrice à le souligner et à questionner, via la fiction, cette grossière absence : pourquoi les femmes sont-elles exclues de ce club très fermé des entreprises les mieux cotées du marché (même si deux ou trois personnalités féminines y occupent de hautes fonctions) ? Que se passerait-il si une dirigeante tentait de prend...

Kingsman : Le Cercle d'or

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Les journalistes ne sont pas toujours très imaginatifs. Un smoking bien coupé et une valise de gadgets leur auront en effet suffi à faire de Taron Egerton, dès sa révélation par Kingsman en 2015, un des principaux prétendants à la succession de Daniel Craig.

Deux ans plus tard, cette hypothèse un peu trop évidente est déjà partie aux oubliettes. Certes, parce que Craig a décidé de remp...

Comment Hollywood a colonisé Hawaï

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Toute destination est un cliché. La longue plage de bout du monde s’étend sur un kilomètre. Un enfant saute dans les vagues. Le ciel prend une teinte orangée. Les locaux hawaiiens apprécient sa beauté sauvage et son intimité. Les touristes fréquentent peu cette plage paradisiaque située au nord-ouest d’Oahu, l’île-capitale de l’archipel d’Hawaii. Ils lui préfèrent les spots de surf de Northshore, ceux de la célèbre Waimea Bay qui, l’hiver, attirent les amateurs de vagues géantes – les mêmes que dans le film Point Break.

A l’inverse, sur la plage de Mokuleia posée aux pieds d’un parc naturel, il n’y a pas d’habitations, tout au plus quelques “trucks” immenses garés le long de la route. Des oiseaux à tête rouge sautillent sur le sable fin, des taches noires à la surface de l’eau trahissent la présence de tortues géantes.

Les infrastructures modernes se marient avec un paysage magique

Un coin de paradis réservé à quelques happy few. Pourtant, la plage, la montagne verte et ocre qui plonge dans l’océan, tout est familier au fan de la série Lost. C’est ici que le vol Oceanic 815 s’est “crashé”, sur cette île que les survivants se débattront entre bien et mal.

“Tournée entièrement à Oahu”, lit-on au générique de fin de la série culte de Damon Lindelof. Il y a peu d’endroits au monde où les infrastructures modernes se marient avec un paysage magique de monde perdu. Les quatre îles principales de l’archipel d’Hawaii se nomment Oahu, où vivent 1,2 des 1,5 million d’habitants de l’Etat, Big Island l’île-volcan, Maui l’île-vallée prisée par les stars, et Kauai l’île-jardin.

Le volcan le plus actif au monde, des vagues monstrueuses, des averses diluviennes, des forêts et jungles tropicales

Les avions de Hawaiian Airlines se prennent comme des bus pour se déplacer d’île en île. L’archipel a cette particularité de recouvrir onze des treize zones climatiques répertoriées sur la planète. On y croise le volcan le plus actif au monde, des vagues monstrueuses, des averses diluviennes, des forêts et jungles tropicales, de la neige, des plages paradisiaques bordées de palmiers, des paysages martiens formés d’anciens cratères (des scientifiques y testent la résistance à la vie sur Mars), des ranchs et des cow-boys, des gratte-ciel et des montagnes sublimes sculptées par des millénaires d’activités volcaniques.

Des centaines de productions ont choisi le 50e Etat des Etats-Unis, attirées par une fiscalité avantageuse et des conditions de tournage confortables dans des paysages renversants. Ainsi, Hawaii a servi de décors à pas mal de blockbusters cultes : Les Aventuriers de l’arche perdue (1981), Jurassic Park (1993), Pearl Harbor (2001), Pirate des Caraïbes – La fontaine de jouvence (2011), Hunger Games – L’embrasement (2013), Godzilla (2014)…

Une manne pour l’Etat d’Hawaii

Les films où Hawaii n’est pas qu’un décor sont plus rares. On retient Big Eyes de Tim Burton sur l’artiste Margaret Keane, qui vécut à Honolulu, la capitale, ou The Descendants d’Alexander Payne sur les états d’âme d’un héritier hawaiien joué par George Clooney. On peut citer aussi des classiques du cinéma US commeTant qu’il y aura des hommes (1953), la comédie musicale South Pacific (1958) et Blue Hawaii (1961) avec Elvis Presley.

Cette industrie temporaire est une manne pour l’Etat d’Hawaii. Outre des jobs bien payés, c’est une machinerie bien plus puissante que le surfeur Laird Hamilton pour faire la promotion de ses paysages paradisiaques. Ces tournages boostent l’économie – Lost à lui seul a permis de résister à la récession de 2008 – et le tourisme.

Des tour-movies assez kitsch emmènent les fans sur les lieux de tournage de Jurassic Park ou de Lost. Mais qu’est-ce que cette profusion cinématographique produit sur le voyageur qui débarque pour la première fois à Hawaii ? Avoir découvert ses paysages dans des productions mainstream transforme-t-il l’expérience de son voyage ?

“Le sentiment de première fois est troublé par le cinéma qui produit une impression de déjà-vu”

Après l’écriture de Road Movie, USA (Hoëbeke), Bernard Benoliel a voyagé aux Etats-Unis. “Je voyais des plans, des cadres. Le sentiment de première fois est troublé par le cinéma qui produit une impression de déjà-vu, de seconde fois, d’un monde enregistré, d’une réalité déjà cadrée, explique le critique de cinéma. On est des habitants du siècle du cinéma, il peut, dans certains cas, nous donner le sentiment qu’il nous a précédés quelque part, comme s’il nous avait doublés.”

Kauai semble avoir été créée par un savant fou, un dieu joueur

L’île de Kauai, la plus filmée, est un joyau vert. Il faut prendre un hélicoptère pour admirer les gigantesques cascades de Manawaiopuna qui ouvrent Jurassic Park – avec la BO dans le casque, on s’attend à voir surgir un tyrannosaure. Kauai semble avoir été créée par un savant fou, un dieu joueur.

Comme si un condensé de l’american way of life avait été jeté au milieu d’une nature incroyable, une petite île presque irréelle, comme un décor de cinéma : plages dignes de Robinson Crusoé, canyons, cow-boys locaux et hippies chic, resorts de luxe, phoques indolents sur des plages bondées, dauphins, déserts de cactus, spots de surf, treks de l’extrême, le tout entouré d’une nature à 90 % inaccessible.

D’étranges boules blanches, radars antimissiles, rappellent que le bout du monde est un cliché inventé par le cinéma – un tiers des territoires de la frontière ouest des Etats-Unis appartient aux militaires. Et partout, à chaque coin de rue, dans la forêt, sur la plage, on croise des poules – en liberté et sans prédateur. On finit par croire que c’est toujours la même, comme dans un film de David Lynch.

Les 8 clips qu'il ne fallait pas rater cette semaine

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Clément Froissart Dreamers

C'est sans doute le meilleur clip de la semaine, en tout cas le plus original et le plus innovant. Il est tourné en format vertical (c'est plutôt à mater sur smartphone, donc) et selon un système narratif bien meta, qui intègre la conception du clip au clip lui-même. Tout se passe par écrans interposés en explorant le thème des émois adolescents. Le résultat, signé Guillaume Cagniard et Virgile Texier pour Clément Froissart (ex-Concorde), se regarde comme une mini rom com moderne et bien foutue.

Fergie Love Is Blind

Gros lol avec ce clip en stop motion de Chris Ullens pour Fergie. On suit l'avatar de la reusta en train de se baigner, de trainer chez elle et... de tuer sauvagement des hommes. C'est plein d'idées assez trash et, du coup, assez jouissives.

St. Vincent Los Ageless

C'est la mode des clips esthétisants faits à base de successions de plans fixes et de couleurs pastel. On est donc en plein dedans mais il y a plein de belles idées visuelles dans ce clip de Willo Perron pour St. Vincent.

Pearl & The Oysters Melinda Melinda

Petit clip fluo à base de danse et de longboard en Normandie. Cool.

Lil Yachty Lady In Yellow + On Me feat. Young Thug

Eh beh, Lil Yachty a balancé deux clips en l'espace de quelques jours seulement. Le premier est une succession de mises en scène autour de la couleur jaune (jaune pastel, c'est la mode on vous dit). Le deuxième est moins esthétique mais illustre On Me, la nouvelle collab de Lil Yachty et Young Thug pour la prochaine compile du label Quality Control. Autant vous dire qu'on n'est pas loin du pur génie.

Faire Henri Border

"Si t'as pas gerbé c'est qu'il vaut pas le coup." C'est comme ça qu'on nous a vanté les vertus artistiques de ce clip de Faire pour le morceau Henri Border, qui porte décidément bien son nom. On vous laisse vous faire une idée - et gerber, éventuellement.

Haim Little of Your Love

On termine avec une petite choré des soeurs Haim devant la caméra de Paul Thomas Anderson, rien que ça. Astuce pour échapper aux injonctions de la vie sociale : passer le week end à reproduire cette choré chez soi.

"La Science du Coeur" est un album à écouter du début à la fin (et il pourrait changer votre vie)

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Après un disque sublime au piano en hommage à la chanson française (Paris Tristesse, 2014) et une explosion pop (Punkt, 2013), le Montréalais, nous revient avec une déclaration d’amour : La Science du Coeur. Comme un acrobate, il essaye d'y trouver l’équilibre délicat entre son statut de chanteur populaire, d’artiste engagé et de fada d’art contemporain. De passage à Paris, sa seconde ville de coeur, nous en avons profité pour le rencontrer et lui tirer le portrait.

Un artiste populaire et francophile

Digérant tout l’héritage de la chanson française (Sheila compris), Pierre écrit des morceaux où la voix est reine et l'usage d'un langage quasi soutenu (et sans auto tune) peut en effrayer plus d'un. Pourtant, en évoquant dans ses travaux des sujets de société (comme la solitude ou l'homosexualité), son travail "classique" bascule "dans quelque chose de très contemporain et d'actuel“. Décrassant la caricature du chansonnier un peu désuet, il tâche ainsi de le moderniser avec sa plume.

“J’ai une attirance pour l’Europe depuis toujours, et je me sens comme chez nous à Paris, j’ai même plus besoin de GPS pour me repérer dans les rues. C’est une ville d'instinct.“

Pour modeler son personnage, il commence par "suranalyser" toute l’école française de Brel à Ferré (dont une reprise sublime de C’est Extra). Son premier “choc” musical, il l’aura vers 6 ans devant Si maman Si de Michel Berger à la TV. Puis ce seront Brigitte Fontaine et Bashung  "mes mentors", et Barbara et Aznavour : “mes grands parents, je me réclame de leur descendance".

Un artiste désinhibé et engagé dans la cause LGBT+

Si à ses débuts, Pierre Lapointe compose ce qu’il appelle de la "poésie vaporeuse", cherchant à toucher son public sans vraiment lui dire quoi penser, son écriture musicale devient de plus en plus directe et réaliste au fil des albums.

“Pour moi quand on crée un geste artistique, c’est aussi une façon d’être engagé socialement.”

Sur son dernier, La Science du Coeur, il n'hésite pas non plus à s'engager, en signant notamment le délicieux titre Mon Prince Charmant, qui détourne avec brio le cliché de l’homme idéal viril et hétéro. Banalisant ainsi la cause gay, il tente de la faire accepter plus facilement dans notre société :

“On est rendu à la phase, où il faut commencer à vivre notre homosexualité comme si de rien était et donc l’intégrer à nos oeuvres comme si de rien était.”

Et cet engagement ne se limite pas seulement à ses chansons, Pierre tente aussi d'éveiller les consciences que ce soit comme porte parole du musée des beaux arts du Québec ou comme juré dans l’émission La Voix - version québécoise de The Voice.

La Science du Coeur, un manifeste d’amour moderne

Inspiré par l’opéra de Quat'sous (1929) et son compositeur allemand Kurt Weill “ lui son but c’était de créer de l’art pointu pour le peuple”, Pierre suit cette même démarche sur La Science des Rêves, allant chercher la crème des artistes contemporains et "se cassant la tête comme un universitaire" pour qu’au final, les gens “aient envie de chanter” ses chansons.

Co-réalisé par David François Moreau (arrangeur pour Cali ou son demi-frère Patrick Bruel mais aussi compositeur de nombreuses B.O. de films et pièces de théâtre), La Science du Coeur se ballade entre le minimalisme de Steve Reich et un souffle plus classique.

“Mon but était de faire un pont entre la musique classique contemporaine et la grande tradition de la chanson française, pour arriver à un résultat le plus moderne possible”

Enregistré entre Montréal et Paris, le duo fait appel à Simon Leclerc qui dirige l’orchestre symphonique de Montréal pour lui insuffler cette aura classique. Enregistrant jusqu'à 30 cordes d’un coup (superposées jusqu'à 4 fois) pour la chanson manifeste La Science du Coeur, sans refrain ni couplet, une montée en énergie surprenante en jaillit. Autre pièce forte : Alphabet. À la fois enfantine et introspective, chaque lettre dévoile un sens caché de son auteur, un “champ lexical pour comprendre tout mon travail de ces 15 dernières années” (et un hommage à peine voilé à la chanson d’Amanda Lear).

Mais là où Pierre excelle, c’est bien en déclarations d’amour (Comme un soleil et le sublime Retour d’un amour). Il nous touche en plein cœur, via une orchestration proche de celle des musiques de film, d’une voix, très présente et placée au premier plan, interpellant comme une voix off.

Un artiste touche à tout

Pour présenter son travail sur scène, Pierre prend un malin plaisir à déborder de son rôle de musicien, et mélange avec brio théâtre, chanson, art contemporain, danse, graphisme. Ancien étudiant en art théâtral, il créé des performances scéniques totales dont la dernière en date, Amours, Délices et Orgues (présentée cet été à la maison symphonique de Montréal et où il dévoilait des extraits de La Science du Coeur) invitait acteurs, chorégraphe, designer industriel et organiste.

“Pour moi c’est de l’art total, je peux pas juste écrire un album, c’est le plaisir de faire ce métier-là”

Touche-à-tout débordant d’énergie et d’idées, Pierre co-réalise également ses clips, visuels ou encore dessine ses vêtements, n’hésitant pas à s’entourer d’une équipe d'artistes reconnus dans chaque domaine, et où rien n’est laissé au hasard. La pochette de ce dernier disque est signée Pascal Blanchet, illustrateur ayant reçu de nombreux prix et travaillé notamment pour The New Yorker. Quant à son clip futuriste Sais-tu vraiment qui tu es, il s’inspire des tableaux de Dali et de vêtements des années 40, redessinés par Geneviève Lizotte.

“La chanson peut être un bon prétexte pour faire tout ce que j’ai en tête. Et en tant qu’artiste, notre rôle est de faire des ponts entre les arts.”

Enfin si ces mises en scènes peuvent en effrayer certains, Pierre est toujours à l'écoute de son public, faisant notamment des séances de 'questions réponses' à la fin de chacun de ses spectacles pour dialoguer et expliquer sa démarche. Et si les gens n’aiment pas son show ? Tant pis ! Pierre se réjouit de provoquer leur curiosité et de créer toutes ces interrogations dans leurs têtes “pour m’assurer qu’ils ne soient jamais tout à fait confortables”. 

«Le rôle des artistes c’est de tenter de combler le manque de culture et d’éducation.»

L'album La Science du Coeur sortira le 6 octobre via  Audiogram/Columbia . Disponible en précommande sur Apple Music.

En concert le 4 février au Toboggan ( Décines-Charpieu / Lyon), le 9 février au Rocher de Palmer (Cénon / Bordeaux), le 13 février à la Cigale (Paris) et le 19 mars au festival Mythos (Rennes).

10 nouveaux albums de jazz indispensables

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Vijay Iyer Sextet, Far From Over

Un album aussi enthousiasmant réclame d’être acquis toute affaire cessante. Que vous soyez plutôt sensible au groove ou à la mélodie, aux tensions ou à l’harmonie, à la brillance du touché ou à la densité des atmosphères, à la finesse d’impression ou au mystère du son, plus au jazz qu’au rock, plus au rock qu’au jazz – quelle importance ? –, à l’exactitude pointilliste ou, au contraire, au hasard, à l’indéterminé, cette musique vous comblera de toute façon. Un tour de force que l’on doit à l’ensemble du sextet et en premier lieu à son leader, le pianiste Vijay Iyer, qui semble avoir atteint le plein épanouissement de son art, celui où tous les possibles peuvent s'accomplir.

Diego Imbert, Tribute to Charlie Haden

Charlie Haden fut de ces musiciens complices dont on pense qu'ils ne partiront jamais. Avant-gardistes ou classiques, ses albums étaient toujours auréolés d'une chaleur humaine d'autant plus touchante qu'elle demeurait d'une grande sobriété. Disparu en 2014, il méritait l'hommage royal que lui rend Diego Imbert dans ce disque où se mêlent pièces à sa mémoire et reprises de quelques-unes de ses compositions. Le trio formé par Imbert, Enrico Pieranunzi et André Ceccarelli, auteur l'an passé d'un très beau Ménage à trois, s'augmente ici de cordes et de bois qui accentuent encore la finesse des mélodies. Immanquable le 29 novembre au Studio de l'Ermitage.

Mark Guiliana Jazz Quartet, Jersey

Avoir joué avec Brad Mehldau et Avishai Cohen, puis accompagné David Bowie dans ses derniers enregistrements a placé Mark Guiliana parmi les batteurs les plus recherchés de sa génération. Mais loin de se mettre en avant, il a choisi pour ce disque de se fondre dans un quartet acoustique et de relever le défi de produire une musique originale à partir de cette disposition archi-classique. La cohésion du groupe est absolue, éliminant tout ajustage forcé au profit d’un souffle unique, sain et harmonieux, d’une énergie quasi juvénile qui surprend chez des musiciens aussi chevronnés. Nulle fureur, aucune dureté, on se laisse aller sans réticence face à tant d’aisance et d’élégance, jusqu’à fondre définitivement avec une reprise élégiaque de Where Are We Now ? A retrouver le 16 novembre au New Morning.

Fred Hersch, Open Book

Ecouter Fred Hersch en solo est un privilège dont on ne peut se lasser. Le pianiste américain a le don d'instaurer un espace poétique où un thème de Jobim peut prendre de sublimes parures romantiques (Zingaro), un autre de Billy Joel (And So It Goes) trouver une grâce inattendue et ses propres compositions ouvrir des abîmes entre les tonalités (Through the Forest, qui pourrait être une sonate de Scriabine ou Prokofiev). Toujours humble après 40 ans de carrière, Hersch déclare dans les notes de ce disque somptueux que, selon lui, le meilleur état d’esprit à adopter à l'abord du piano est : “Voyons ce qui se passe.” On a vu, on a entendu, on n’en est pas revenu. A ne pas manquer, les 21 et 22 novembre au Sunside.

Laurent de Wilde, New Monk Trio

L'année du centenaire de la naissance de Thelonious Monk voit une longue attente enfin comblée : Laurent de Wilde, auteur en 1996 d'une biographie indispensable de cette grande figure du jazz, lui dédie pour la première fois un album entier. Si ce geste a dû lui coûter quelques nuits blanches (difficile de se confronter impunément à son grand mythe personnel), on ne ressent qu'aisance et souplesse dans ses interprétations, comme si, plutôt que la lettre, qu'il réinvente avec assurance, son trio s'était attaché à l'esprit, iconoclaste, un peu fêlé, de Monk. Ce n'était sûrement pas la voie la plus simple.Tout le mérite du pianiste français, parfaitement épaulé par Jérôme Regard et Donald Kontomanou est d'avoir su l'emprunter avec panache. L'album sort le 20 octobre, à retrouver en concert le 26 du même mois, au Bal Blomet.

Filippo Vignato Quartet, Harvesting Minds

De son nouvel album, le jeune tromboniste vénitien a récemment déclaré qu'il l'avait souhaité "changeant, spontané, imprévisible". Il a ainsi accueilli l'indécis romantique sans laisser par ailleurs ses compositions s'effilocher, se disloquer. Etrange jeu de flous - celui de la pochette est volontaire -, comme pour rappeler que notre temps, à s'ausculter en permanence, ne cesse de s'opacifier. Heureusement Filippo Vignato dispense le remède en même temps que le diagnostic : le coeur bat ici, et le sentiment domine, notamment à travers les superbes développements du pianiste Giovanni Guidi.

Tom Hewson, Essence

Un grand disque de piano jazz peut s’écouter comme un récital de l’ère romantique : le même recueillement à l’abord garantira la même félicité, si impérieuse qu’il sera comme douloureux de s’en extraire une fois le programme exécuté. Ainsi peut se résumer l’expérience d’Essence, album si libre qu’il ne cite brièvement Mingus ou Coltrane que pour s’échapper sur de magnifiques traverses où Schumann pourrait jouer à quatre mains avec Bill Evans. Tom Hewson y fait montre d’une musicalité inépuisable, souriante, confiante. Disque indispensable donc, ne serait-ce que parce qu’il nous rappelle que le jazz peut tout. A paraître le 13 octobre.

Adam Baldych & Helge Lien Trio, Brothers

Né dans l'épreuve, ce disque témoigne d'une foi indéfectible dans la musique comme transcendance. Si Adam Baldych le juge "plus sale et sauvage" que ses précédents, c'est qu'il porte le deuil de son frère Grzegorz, lui-même musicien, mort subitement à 29 ans, et l'espérance immense d'une fraternité possible entre les hommes. Le violoniste polonais, qu'on n'a jamais connu truqueur, a mis tout son cœur, toute son âme dans ces huit compositions et une reprise (réussie) de Hallelujah. Le langage paraît simple, va à l'essentiel, mais il ne touche qu'aux émotions les plus pures, tirant d'un chagrin irrémédiable un chant d'amour universel. Impossible de ne pas y être sensible.

Oded Tzur, Translator’s Note

Il n’arrive pas tous les jours qu’on soit saisi dès la première note par un album qui ne nous lâchera qu’à son terme sans nous avoir laissé une seconde pour accomplir autre chose. Translator’s Note appartient à cette espèce rare, aux fondamentaux nés d’une nécessité plus puissante que le calcul méthodique ou la simple inspiration. Tout est parti d’une histoire de baleine – dont on taira le secret, il faudra acquérir l’album et en lire les notes –, récit mythique qui attendait le saxophoniste Oded Tzur au coin d’une allée pour le pousser vers le studio afin de retrouver Shai Maestro, Petros Klampanis et Ziv Ravitz. Là, quelque chose s’est passé, on le sent plus encore qu’on ne l’entend, dans l’urgence du jeu, dans la profondeur et l’abandon de l’interprétation, dans la communion atteinte.

Primitive London, Planet Savage

Du jazz qui bastonne et secoue, qui encanaille, se moque de toute bienséance et nous entraîne en virée londonienne à dos d'éléphants africains, ça existe, et qui voudra s'en convaincre devra écouter cet album jouissif, fiévreux, débraillé par instants, mais jamais ennuyeux. Planet Savage se déroule comme une inspection perturbante de bas-fonds imaginaires, un trip dans une mégapole de fantasme déterminé par un quatuor anglo-français aux irrévérences très séduisantes. On en ressort un peu rincé, mais ravi.


Mensonges et complot LGBT : ce qui se dit dans le bus qui veut lutter contre la théorie du genre

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"Vous avez des enfants ? Oh, mais vous en aurez un jour non ? Et bien moi j’ai des enfants. Et certaines choses que je vois dans les livres scolaires me choquent profondément. Des choses comme 'Si votre fille se sent fille, ce n’est pas naturel. C’est vous qui lui avez transcrit vos préjugés', dans un livre de SVT au collège !". Devant la gare de Bondy, l’homme nous montre un prospectus orange, comme le bus garé quelques mètres derrière nous, où sont inscrits des exemples qui prouvent selon lui que l’Education nationale enseigne la théorie du genre à nos enfants. En moins d’une dizaine de minutes, les trois représentants du Free Speech Bus nous déroule un discours bien rodé. L'objectif ? Nous effrayer en évoquant "toutes les horreurs" que contiennent les manuels scolaires.

Depuis une semaine, ce bus de la plateforme CitizenGo sillonne les rues de Paris et d'Ile-de-France contre l’idéologie du genre. Dans une tribune publié dans Libération, un collectif d'associations engagées dans la lutte pour les droits des lesbiennes, gays, bi et trans a appellé à faire barrage à une telle propagande. Nous sommes montés dans ce bus, incognito, afin d'en savoir plus.

La théorie du genre à l'école n'existe pas

Mais qu’est-ce que c’est au fait, la théorie du genre ? En 2014, le docteur en psychologie et directeur de recherche au CNRS Pascal Huguet explique dans le Huffington Post comment cette prétendue théorie est née… Alors qu’elle n’existe pas. Le concept de "genre" est bien réel dans les sciences sociales, et désigne l’identité genrée que se forge un enfant en fonction de son environnement social, ainsi que toute la perception des rôles des hommes et des femmes dans la société, et les rapports qu’ils entretiennent entre eux. La théorie du genre telle que la combat ce bus de la plateforme CitizenGo aurait pour but de déconstruire le modèle familial traditionnel et la norme hétérosexuelle, pour encourager à l’inverse l’homosexualité et la transsexualité, pousserait donc la déconstruction beaucoup plus loin.

Il nous faut alors démêler le vrai du faux. En commençant par le tract que nous a tendu l’homme du Free Speech Bus, dont les informations ne correspondent pas vraiment à ce que l’on vient d’entendre. La prétendue citation du "livre de SVT au collège" provient d’un programme de sciences économiques et sociales en seconde. "Ce ne sont même pas des interprétations de textes littéraires ou philosophiques. On explique à nos enfants que c’est physique", développait-il ensuite en parlant justement du distinguo fait entre l’identité biologique et l’identité culturelle liée au genre. Pourtant, la phrase encadrée en noir est tirée de la rubrique "Le Coin Philo" d’un manuel d’enseignement moral et civique de quatrième. Pas vraiment le genre de livre qui aborde les questions biologiques…

"Donner des repères" aux enfants

Ironiquement, notre interlocuteur utilise les mêmes termes que ceux que l’on emploie en sciences sociales. "A cet âge-là, un enfant est en construction. Il est perméable. Il faut lui donner des repères. Et l’école joue un grand rôle là-dedans. Moi qui aie des enfants, je peux vous dire que c’est difficile de parler après la maîtresse". Et c’est bien pour toutes ces raisons que l’éducation nationale estime important de déconstruire les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes dans notre société, pour que l’enfant puisse se construire sans être influencé par des clichés.

Mais les problèmes ne se trouvent pas que dans les livres scolaires, d’après les représentants du Free Speech Bus. "Sur ce site internet, on explique à votre petite fille comment se mettre une banane dans les fesses ! Et ça, c’est relayé par l’éducation nationale !". Du doigt, l’homme nous montre une capture d’écran du site onsexprime.fr mis en place par l’INPES, que l’éducation nationale recommande en effet d’utiliser pour apporter des réponses aux adolescents sur les questions de sexualité.

Mais encore une fois, contrairement à ce qu’affirme le tract, le site n’est pas relayé directement dans les écoles par l’Education nationale, et surtout pas à n’importe quel public. Déjà souvent attaqué par La Manif Pour Tous, le site de l’INPES est avant tout un support pour répondre aux questions des adolescents à partir du collège, et si l’illustration peut être trompeuse (elle n’est plus la même aujourd’hui), il n’est pas question sur le site d’apprendre aux enfants la pénétration anale (comme vous pouvez le vérifier par vous-même).

Mensonge, manipulation... Et théorie du complot

Au-delà donc des fausses informations que nous donne oralement le membre du Free Speech Bus, la lecture de son tract montre que CitizenGo a un problème avec l’éducation à la sexualité, et le fait que l’école cherche à démonter certains stéréotypes de genre qui donnent lieu à des inégalités entre les sexes. Et à en croire notre interlocuteur, ce sont des lobbys qui ont fait apparaître ces sujets à l’école : "Tout ça ne date pas du gouvernement actuel, mais ça s’empire, ça se prolonge. C’est apparu sous Luc Chatel. Alors je ne sais pas si c’est son idée, s’il y a eu des pressions, des lobbys… Mais un ministre c’est un homme politique, et il n’agit que quand il y a du monde autour de lui". Mais de quel lobby parle-t-il ? "En tout cas, si c’est pour lutter contre l’homophobie en faisant croire qu’on est tous les mêmes, tous pareil…" finit-il par lâcher, désignant implicitement le prétendu lobby LGBT.

La théorie du genre enseignée à l’école et l’existence d’un lobby LGBT qui voudrait détruire le modèle familial traditionnel sont deux grands poncifs de La Manif Pour Tous, et ce n’est pas un hasard que de retrouver ces arguments dans la bouche des membres de CitizenGo. Cette fondation, espagnole à l’origine, se décline aujourd’hui dans plusieurs pays et a trouvé en France le soutien de médias et organisations catholiques conservatrices liées de très près à La Manif Pour Tous.

Si notre interlocuteur n’a pas évoqué avec nous d’autres sujets que celui de la théorie du genre, il nous renvoie en revanche vers le site de CitizenGo, sur lequel se trouvent plusieurs articles anti-PMA (procréation médicalement assistée), anti-mariage pour tous, et anti-avortement. Le site déclare même reconnaître le "droit au mariage, défini comme étant l’union entre un homme et une femme".

Des soutiens de toute la droite intégriste

Parmi les plus fervents soutiens de CitizenGo en France se trouve Emile Duport, du collectif anti-avortement des Survivants, ou encore François Régis Salefran, photographe de La Manif Pour Tous. Autour d’eux, ce sont tous les comptes Twitter influents de la sphère catholique intégriste qui relaient au quotidien les informations du Free Speech Bus, ainsi que les attaques dont ils sont victimes sur les réseaux sociaux. Quelques politiques, comme l'ancien candidat FN aux législatives Thierry Devige, ont également salués la venue du Free Speech Bus à Paris.

Derrière des couleurs vives facilement repérables en ville, des illustrations dignes d’Halloween et des slogans sur la protection de l’enfance, CitizenGo et son Free Speech Bus dénoncent en réalité le fait que l’école s’attaque aux stéréotypes sexistes. Ce que notre interlocuteur n'hésite pas à comparer au viol : "On ne touche pas aux enfants. Et ça c’est partout. Même en prison, les gens qui font du mal à un mouflet ou ont commis un viol sont en danger par rapport aux autre prisonniers". La théorie du genre qu’ils veulent combattre ne semble pas exister ailleurs que dans leurs esprits. "Est-ce le rôle de l’école de faire s’interroger les enfants sur leurs représentations du monde, et en particulier sur leurs représentations du masculin et du féminin, issues de ce qu’ils voient ?", écrivait fin septembre le site vigi-gender.fr, un autre site vers lequel notre interlocuteur nous a redirigés. Et la réponse est oui.

Vidéo : Vald démonte Ardisson après son interview lunaire dans "Les Terriens"

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La semaine dernière, Vald faisait les frais du manque de culture et de la condescendance complètement décomplexée qui règne sur la plupart des plateaux télé quand il s'agit de recevoir des rappeurs. Dans une vidéo postée sur son compte Instagram et relayée par Booska-P, le rappeur a finalement décidé de réagir aux frissons générés par les questions d'Ardisson ce jour-là.

Vald finit par annoncer sa décision de ne pas mettre un orteil sur un plateau télé pour sa prochaine promo. Mais en a-t-il vraiment besoin ?

Le premier album de Témé Tan va vous faire voyager (sans même quitter votre chaise)

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Si sa scène rap actuelle n’a plus grand chose à prouver à la France, la Belgique nous offre ce mois-ci un nouvel exemple de sa diversité avec la pop lo-fi et enjouée de Témé Tan. Partageant une éducation francophone et flamande, Tanguy Haesevoets (de son vrai nom) cultive un goût prononcé pour le fait main, mixant percussions africaines, chansons poétiques et bricolages électroniques. Entêtantes (Ca va pas la tête ? a rejoint la playlist du jeu FIFA 2018), ses chansons sont le résultats de nombreux voyages, que ce globetrotter collectionne depuis son plus jeune âge, et assemble tel un patchwork sur son premier album éponyme, sorti au début du mois d’octobre chez Titan / PIAS.

“Voyager, c’est ma deuxième passion avec la musique. “

Né à Kinshasa, Tanguy arrive en Belgique à l’âge de 6 ans. Son père étant resté au pays, il passera toutes ses vacances là-bas, voyageant seul très tôt. De ce métissage culturel et familial, Témé Tan conserve un goût prononcé pour l’évasion, développant l’âme d’un nomade, prêt à tout pour larguer les amarres et voguer vers de nouvelles contrées. Majeur, il s’envole pour le sud de l’Espagne à Grenade pour une année d'études en Erasmus, puis ça sera de long mois à sillonner l’Amérique Latine (Brésil, Pérou, Guatemala, Honduras) avant de filer au Japon. Et à chaque fois, il ne manque pas de s’immerger dans la culture musicale du pays visité : étudiant autant la bossa nova de Gilberto Gil que le Flamenco de Paco de Lucia.

“Le Brésil, c’est le seul pays où on me demande pas d’où je viens. Tout le monde pense que je suis brésilien.“

De ses voyages, Tanguy ramène des disques et vinyles mais également des enregistrements sonores grâce à son précieux dictaphone. Sur son premier album, on retrouve ainsi des samples de cris d'enfants (Ca va pas la tête ?) : “c’était des gamins qui jouaient dans la cour de l’église où s’est marié mon cousin à Kinshasa.” Ou encore des orages déchaînés sur le titre Olivia : “Je m’étais paumé dans Tokyo et c’est l’époque de la mousson.” Quant à son Coups de Griffe, il emprunte de joyeuses batucadas “ces fanfares qui défilent pendant le carnaval de Rio”.

Ses expéditions lui donnant peu à peu confiance en lui, il se lance officiellement dans son projet solo en 2009, en inaugurant son premier concert lors d’un voyage à Kyoto, expérience qui lui inspirera également son pseudo Témé Tan :

“En japonais : TE c’est la main et ME c’est l’oeil. Normalement je mets des lunettes, mais sur scène je les retire car elles tombent et je bouge beaucoup. Je me repère donc plus avec mes mains qu’avec mes yeux. Quant à TAN : c’est un surnom qu’on m’a donné à Grenade car les Espagnols n’arrivaient pas à dire Tanguy.”

Un retour aux sources

Plus récemment, Tanguy a laissé de côté les voyages exotiques pour concentrer ses recherches musicales sur la ville de son coeur et de son enfance : Kinshasa ou “ Kin la belle,” cette ville créatrice de tendance, célébrant la rumba et influençant toute l’Afrique. Renouant avec ses premiers souvenirs musicaux, il replonge dans les classiques de la rumba congolaise (Tabu Ley Rochereau, Papa Wemba et Franco Luambo), tout en suivant assidûment son actualité :

“Kinshasa reste initiatrice de nouvelles tendances comme le mouvement congotronics avec Konono Number 1 qui amplifie leur likembe, ou encore KOKOKO! C’est comme une nouvelle musique électronique, mais elle n’est pas faite avec des machines, mais des instruments de recup’.”

Et il compte bientôt retourner là-bas, invité au festival Amani (à Goma, la ville la plus proche du Rwanda) en février prochain où il désire monter une création artistique.

Le roi du lo-fi et de la débrouille

Composant essentiellement sur son ordinateur portable, ce musicien autodidacte intègre progressivement la basse, la MPC et du clavier pour étoffer ses productions. Spontané et à l'image du congotronics, il n’hésite pas à garder des prises de voix enregistrées à la va-vite sur son laptop (comme pour le titre Olivia) capturant ainsi l'instant, “car le feeling était le bon”. Et pour ses clips, Tanguy met la main à la pâte et ne déroge pas à la règle, enregistrant par exemple Sé Zwa Zo avec la webcam de son Mac, ou la vidéo de Coups de griffe avec une GoPro dans l’état de Sao Paulo au Brésil.

“J’ai envie de faire le truc quand ça me vient et pas m’en empêcher car je n’ai pas le bon micro ou la bonne caméra. Je déteste refaire des voix, et je préfère que le son soit pourri mais que le feeling soit vrai.”

Enregistré entre 2015 et 2017, partiellement en Guinée, au Congo, au Brésil et au Japon, “l’élément commun étant mon laptop et mon dictaphone que j’emmène partout”, son premier disque est fignolé en studio à Bruxelles (puis mixé par Justin Gerrish, officiant aussi pour Vampire Weekend, Ra Ra Riot…) Et l’exception de Le Ciel, où il fait appel au prometteur producteur Le Motel (collaborant aussi avec Roméo Elvis), Témé Tan y signe des productions minimalistes mais définitivement groovy. Impossible de ne pas avoir envie d'onduler du bassin à son écoute.

D’un naturel optimiste

En français dans le texte (sauf de rares exceptions sur Champion), Tanguy fait écho à son histoire et son enfance (Matiti, ravivant son plus jeune souvenir au Congo, cherchant des lucioles dans les herbes folles dites "matiti" en langue lingala), ses fantasmes de l’exotisme (Sé Zwa Zo) mais aussi ses envies de tout quitter (Tatou Kité racontant le départ brutal de son frère aîné pour un pèlerinage à pieds jusqu’au Portugal), ou encore à ses coups de gueule (“Pour Ca va pas la tête ? je me suis retrouvée en Guinée pendant l’épidémie Ebola. Au journal télévisé, on avait l’impression qu’il y avait des zombies qui se baladaient dans la rue en crachant du sang, alors que l’état gérait une épidémie du mieux qu’il pouvait en continuant d’aller de l’avant. Et de notre côté, j’avais vraiment l’impression qu’on se plaignait pour des conneries.”). Autre engagement qui lui tient à coeur, écologique celui là, Ouvrir la Cage pose des images poétiques sur une situation qui l’est beaucoup moins.

Optimiste, Tanguy confie aussi écrire ses chansons pour se remonter le moral : “j’ai vécu des gros coups durs personnels”. Le bijou pop Améthys, en est le plus bel exemple, il y célèbre la vie de sa maman :

“L'améthyste est une pierre précieuse et moi je lui donnais le surnom d’Améthys car ma mère était métisse et la première pierre qu’elle m’a offerte était cette pierre précieuse. Elle espérait que cette roche m’aiderait à méditer et à étudier, elle croyait beaucoup dans la lithothérapie.”

Et si sa mère ne peut malheureusement pas connaître la force créative que cette pierre a apporté à son fils, - comme le dictaphone qu’elle lui avait offert pour enregistrer ses cours à la fac et que Tanguy a détourné pour mettre sur bandes ses premières démos - il lui transmet cette chanson à titre posthume pour la remercier, comme un hommage.

Le premier album de Témé Tan est disponible sur Apple Music.

En concert : le 12 octobre au Mans (Complexe Jean Carmet, Allonnes), le 8 novembre à Angers (Chabada), le 17 novembre à Lièges en Belgique (Reflektor) et le 1er décembre à Chelles (Les Cuizines).

De la Spacebomb, bébé

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Pour le label Spacebomb, Londres s'est déguisé en un joli coin de Virginie, calme vidéos en arrière-plan à l'appui. Curieux de voir l'architecture raide et brutaliste du nécessaire Barbican Centre arrondir ses angles, s'assouplir au contact de ces musiciens à la coule du Sud nonchalant. Car sur scène, l'équipe de Spacebomb a reconstitué son studio de Richmond, et l'orchestre-maison, le plus brillant depuis les Dap-Kings, accueille ses amis, ses visiteurs. Une quinzaine de musiciens, tous experts et même enseignants de leur instrument accompagne ainsi, sous la la houlette du boss Matthew E. White, transformé en M. Loyal, un genre de best off de ces musiques du diablotin, à mi-chemin du folk, de la soul et des dialectes du Sud. Des cordes, des cuivres et des voix de miel contribuent à l'opulence des chansons, mais n'expliquent pas leur originalité, leur modernité érudite d'histoire. La vraie force du son épais, caramélisé de Spacebomb, un son très identifiable, ce sont ces arrangements en cascade, en ricochets, fournis par le grand et discret metteur en son de ces chansons languides et excentriques : Trey Pollard. Propulsées par des musiques aussi raffinées, aussi électrifiantes, les voix peuvent s'abandonner à leur seule jouissance. Et à ce concours de ferveur, de plaisir physique, c'est Natalie Prass qui l'emporte. Marc, de Cocoon, ose l'a capella dans le vaste hall du Barbican et habite ses deux chansons avec autorité, malice et une efficacité nouvelle. Car si l'orchestre-maison, comme dans les revues soul ou rhythm'n'blues d'autrefois, reste immuable sur scène, les voix, elles, n'ont que deux chansons pour séduire. Et c'est dingue de constater à quel point cinq minutes suffisent à trier les voix, les attitudes, les ferveurs. On passera ainsi du gentillet (Charlie Fink), de l'anecdotique (Andy Jenkins), du laborieux (Howard Ivans), du désinvolte même (Georgie) au stupéfiant, au terrassant. Ainsi, outre Cocoon, Nathalie Prass ou un Matthew E. White très relax, on a adoré la prestation épique d'un Mike Scott qui, magnifiquement accompagné, retrouva la grandeur de ses Waterboys. Déjà obsédé par son récent album, on est resté baba et pas cool devant les chansons de l'Américano-syrienne Bédouine, grande femme en robe de gala. Mention spéciale à la légèreté et la classe mélodique infernale du Slow Club, à la suavité presque comique de Karl Blau presque disco. Mais la tempête est venue ce soir de Foxygen, notamment pour un Follow The Leader qui ressuscita dans ce coin gris de Londres les fantasmes d'une soul flamboyante et à yeux bleus envisagée par Bowie sur Young Americans. Follow The Leader : en barbu exalté, Matthew E. White fait un très convaincant gourou.

JD Beauvallet

Rencontre avec Protomartyr : "On a tous perdu nos jobs, nous n’avions donc rien de mieux à faire que des chansons"

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Il paraît que Joe Casey ne manque jamais un coup de fil, mais cette fois il aura fallu s’y prendre à deux fois avant que ce bon vieux Joe, confus, nous rappelle : "désolé d’avoir manqué ton appel, j’espère que tu ne m’en veux pas". C’est le petit matin à New York City et Protomartyr a joué la veille dans un club du Lower East Side.

Deux jours plus tôt, le groupe de Detroit devait faire la première partie de The Fall. Mais c’était avant que Mark E. Smith n’annule sa venue : "on était censé ouvrir la soirée pour eux, mais pour des raisons que j’ignore The Fall ne s’est pas pointé. C’est une énorme déception pour moi", nous confie Casey, la gorge serrée, avant de rajouter un « c’est la vie » un peu vain mais qui en dit long sur le rapport viscéral qu’entretien Joe Casey à ses héros du post-punk. "Ce que je respecte le plus avec des groupes comme The Fall ou Pere Ubu, c’est que quoiqu’il arrive, ils ont continué à faire des disques. J’aimerais avoir le même genre de carrière, mais j’aimerais aussi devenir super riche. Peut-être qu’il faudrait qu’un groupe mainstream fasse une reprise de l’une de nos chansons, histoire de palper un peu", se marre-t-il.

Yeah, Whad up, Detroit?

La question de savoir si la récente sortie de Relatives in Descent, quatrième album de Protomartyr, permettra à Joe de se payer la villa d’Eminem à Rochester Hill, (dans la banlieue de Detroit) ne se pose évidemment pas en ces termes. Même si, comme le souligne Casey, chaque nouvel album de la formation post-punk du Michigan s’est, jusqu’ici, toujours mieux vendu que le précédent : "je ne sais pas si on peut parler de succès, mais c’est vrai que je suis chaque fois étonné de constater que notre musique, qui n’est pas forcément très dansante, ni même très catchy, puisse se vendre et accrocher un public. Mais c’est bien, c’est une bonne chose". 

Il n’empêche, derrière les efforts déployés par Joe Casey pour avoir l’air détaché, se cache un type aux ambitions artistiques suffisamment exacerbées pour laisser de côté un job alimentaire et se concentrer uniquement sur l’écriture d’un disque politique, mais qui brouille assez les pistes derrière un second degrés et une obscure, mais galvanisante, expression poétique pour ne pas être taxé de militant. Certains membres du groupe, dont le guitariste Greg Ahee, bossaient ainsi à plein temps dans la pub, tandis que Casey tenait la porte d’un club de stand-up à Ferndale, Michigan : "Nous avons tous perdu nos jobs, nous n’avions donc rien de mieux à faire que des chansons, lâche-t-il. A l’époque, pour enregistrer un disque, on arrivait à se voir trois fois par semaine tout au plus. Pour celui-ci, on s’est vu tous les jours. Le groupe est devenu notre seul job". 

Le visage de Staline dans les nuages 

Et il n’en fallait pas moins pour accoucher de ce quatrième album tortueux, où se mêlent références philosophiques, errances mélancoliques sous tension et regards lucides, mais jamais désabusés, sur une Amérique décrépite et schizophrène, dont les rêves de grandeurs et de gloire se sont lamentablement étalés comme Elvis sur le sol de sa salle de bain. A ce titre, le deuxième couplet de A Private Understanding - glorieux et inquiétant morceau ouvrant l’album -, sur les questionnements métaphysique du king, est un modèle de gravité poétique : "Elvis outside of Flagstaff / Driving a camper van / looking for meaning in a cloud mass / sees the face of Joseph Stalin / and is disheartened / then the wind changed the cloud into his smiling Lord / and he was affected profoundly / but he could never describe the feeling / he passed away on the bathroom floor". 

Joe Casey use ainsi de digressions stylistiques et paraboliques (comme avec cette sordide histoire de cheval empaillé pour avoir heurté la sensibilité des hommes sur Half Sister), et divague avec clairvoyance sur ce que lui inspire le sens du mot vérité à l’ère de la post-vérité, la vie à la marge de la société des artistes et des outsiders en tous genres, l’inquiétante tranquillité des villes de banlieue plombées par l’omniprésence policière et l’hyper-concentration des richesses dans un Detroit dévasté, détenus par une poignée de pourris. Autant de raisons de réaffirmer l’absolue nécessité de continuer à écouter Protomartyr en 2017.

"Tu sais, ce qu’il y a dans l’album, c’est juste ce qu’il y a dans ma tête, sans filtre et pour le pire, comme pour le meilleur", dira Joe, avant de nous souhaiter une belle soirée.

Protomartyr sera bientôt en concert en France :

22/11 - Tourcoing, Le Grand Mix

23/11 - Nantes, Pole Etudiant

24/11 - Angouleme, La Nef

25/11 - Paris, La Maroquinerie

Qu'est-ce qui rend un livre culte ?

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Saviez-vous que l'album Daimond dogs de David Bowie devait être à l'origine une adaptation du roman 1984 ? Que L'attrape-cœur de J. D. Salinger a inspiré au moins trois meurtriers ? Ou que la veuve d'Alain Robbe-Grillet organisait des parties fines inspirées des meilleures (pires) pages du marquis de Sade ?

Si oui, vous l'avez sûrement appris en regardant "Culte - Lecteurs sous influence", la nouvelle pastille pop d'Arte Creative, qui présente l'histoire littéraire sous son jour le plus sulfureux. Créée par Aurélie Pollet, qui œuvre notamment pour l'émission Karambolage, et David Brun-Lambert, fin connaisseur de la pop-culture, la série raconte 15 livres cultes au prisme de l'influence qu'ils ont eu sur leurs lecteurs. Pour le meilleur comme pour le pire...

Un livre peut-il changer une vie ?

Qu'est ce qui rend un livre culte ? En 3 minutes chrono chacun des épisodes tente de répondre à cette question en revenant sur les réactions suscitées par une œuvre emblématique. "On voulait raconter les histoires autour de l'histoire, et montrer de quelle façon une œuvre peut influer sur les individus, la société", raconte Aurélie Pollet.

Sous la forme de petites infographies, chaque épisode met en scène un réseau de réactions en chaînes, déclenchées à la lecture d'un roman. L'effet papillon en somme, mais appliqué à la littérature. L'animation elle-même s'appuie sur la technique dite de la rotoscopie, qui consiste à reproduire en boucle une séquence animée de quelques seconde. Le même principe que pour un gif. "Ce qui m'intéressait c'était de retranscrire l'effet de propagation, de contagion qui peut naître autour d'une œuvre", explique Aurélie Pollet. La viralité n'a pas attendu l'ère d'internet.

Publiés en 1988 "Les versets sataniques" ont valu à leur auteur Salman Rushdie d'être l'objet d'une fatwa lancée par l'ayatollah Rouhollah Khomeini.

Mauvaise influence

Point commun entre toutes ces œuvres : leur position relativement périphérique par rapport à des logiques commerciales. Une existence d'abord souterraine et marginale qui a su fédérer peu à peu une communauté d'initiés. Des happy fews, qui sont parfois allés très loin dans leur obsession.

Si Sur la route de Jack Kerouac est devenu le roman d'une génération qui a consacré Bod Dylan en chantre de la liberté, celle des Souffrance du jeune Werther un siècle plus tôt a elle entraîné une vague de suicide parmi la jeunesse européenne, fascinée par la mort tragique de cet amoureux tourmenté.

Quand le réel se confond avec la fiction

L'obsession de David Brun-Lambert justement, c'est la frontière entre réalité et fiction : "Comment un bouquin peut-il à ce point marquer un lecteur pour qu'il en vienne à modifier son comportement ? Comment on se retrouve avec des types qui jouent au Quidditch à Clermont-Ferrand ? C'est fascinant quand même !", s'enthousiasme-t-il.

C'est qu'en façonnant l'imaginaire collectif, un livre finit par agir sur le réel lui-même. Et par le biais des réactions qu'il suscite, il peut continuer longtemps d'infuser sur notre société contemporaine. Que vous soyez un lecteur obsessionnel ou non, "Culte" devrait au moins vous donnez l'envie de jeter un coup d'œil à l'un de ces dangereux romans. Laissez-vous influencer...

Jean-Pierre Bacri est-il vraiment un grincheux ?

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Avec sa comparse de toujours, Agnès Jaoui, ils n’ont cessé, au cours de leur fructueuses collaborations (une flopée de récompenses et deux films avec le grand Alain Resnais à la clef), de sonder les affres d’une humanité bavarde et anxieuse, celle (souvent) des classes moyennes retranchées dans de cosy appartements parisiens ou exportées en pleine campagne. Dans ces mini-comédies humaines où tout le monde a ses raisons, Bacri a bien souvent incarné le côté cynique de ce petit monde névrosé. Amoureux transit et rabougri méprisant les bourgeois dans Cuisine et Dépendance, mari largué et frère pestiféré affublé d’un ravissant petit gilet du vendredi dans Un air de famille,  ancien amant à la mauvaise réputation dans On Connait la chanson, chef d’entreprise, un brin beauf, rempli d’amour et d’admiration pour sa prof d’anglais Clara (également comédienne de théâtre) dans Le Goût des autres, père mal aimant dans Comme une image, réalisateur autoritaire dans Parlez moi de la pluie ou encore homme obnubilé par sa propre mort dans Au bout du conte… C’est une évidence il y a bien un type Bacri : celui d'un anti-héros moderne, jamais totalement salaud mais toujours véhément, colérique et aussi, amoureux.

Fort heureusement, on ne peut réduire la carrière foisonnante et le talent d’acteur de Bacri à sa propre caricature, car nombreux sont les rôles qui ont permis de nuancer cette image brute. Alors, plutôt que d’explorer partiellement sa filmo, examinons les films, les prises de paroles, qui ont modelé ou au contraire déconstruit ce pan misanthropique.

1) 1982 : les débuts chez Arcady

L’une des premières fois où il apparaît sur petit écran, c’est aux côtés d’Anna Karina dans L’éblouissement de Jean-Paul Carrère. Il a tout juste 28 ans et incarne Jean-Pierre, un jeune homme ténébreux et séducteur. Après des apparitions chez Pierre Granier-Deferre (Le toubib) et Claudine Guilmain (La femme intégrale) Bacri rejoint la clique Arcady et son cinéma à la virilité un peu toc. Dans Le Grand Pardon, ce natif d’Algérie incarne une petite frappe du nom de Jacky Azoulay, émissaire d’un clan familial juif pied noir : Les Bettoun. Là, tout de blanc vêtu, chemise ouverte et chaîne en or qui brille, Bacri se pare d’une première image un brin macho. Le costume, sera d’ailleurs bien souvent l’uniforme de Bacri. Tour à tour commissaire, médecin ou au chef d’entreprise, il est souvent vêtu d’un grand imper beige un peu passé, d’un costume sombre et délavé, bref de la panoplie de l’homme d’affaire contemporain maussade.

2) La promo façon Bacri


Quelques années plus tard, après être passé par la case Subway (qui lui vaut une nomination dans la catégorie meilleur second rôle aux Césars 1986), Bacri participe à l’émission Mardi Cinéma aux côtés de Claude Brasseur et dévoile son flegme imperturbable et son ironie maline. Alors que le présentateur Pierre Tchernia, ne tarit pas d’éloges sur le jeune premier, Bacri, l’air agacé et loin de consentir à la flatterie acquiesce péniblement, presque douloureusement. Cet apparent tirage de gueule n’est en réalité qu’ironie et autodérision de sa part, et son attitude relève plus d’une modestie amusée que d’un véritable mépris. Après les louanges, l’acteur raconte avec malice comment il s’est retrouvé comédien (en suivant une fille qui lui plaisait aux cours d’arts dramatiques) avant de conclure que depuis  "tout n’a été que chance, magie et réussite."

3) Les sentiments de Noémie Lvovsky (2003)

En 2003, c’est avec Les sentiments, son cinquième long métrage, que Noémie Lvovsky signe son plus beau film et donne à Jean-Pierre Bacri son plus beau rôle. Dans cette variation quelque peu revisitée du chef d’oeuvre de François Truffaut, La femme d’à côté, Noémie Lvovsky imagine la rencontre entre deux couples, celui composé de Carole (Nathalie Baye sautillante comme une petite sauterelle en faisant le "ménage" de sa maison) et de son mari médecin Jacques (Jean-Pierre Bacri) et celui composé de François (Melvil Poupaud), jeune médecin également, et de sa jeune femme Edith (Isabelle Carré), tête de fillette au teint diaphane comme tout droit sortie d’un conte. C’est lorsque que le jeune couple fraichement marié pose ses valises dans la maison juste en face de celle du couple installé, qu’une première relation d’amitié nait entre les quatre personnages. Chacun traverse alors, dans un éternel va et bien, le petit chemin de cailloux blancs qui sépare les deux grandes maisons. Ils se rendent visite, discutent, mangent, boivent et fument ensemble. Mais très vite Jacques et Edith tombent amoureux et la jeune femme un peu perdue se demande s’il est possible d’aimer deux hommes à la fois. Au-delà de relater la naissance d’un amour contrarié, Noémie Lvovsky en interroge toutes les composantes, ses évidences comme ses paradoxes. Avec Les Sentiments, la cinéaste réussit un savant mélange entre comédie et drame, en témoigne cette séquence géniale dans laquelle Bacri comme un enfant stressé se barbouille malencontreusement le visage d’encre. La grande réussite du film tient dans cette manière qu’à Noémie Lvovsky de faire de Bacri, un être malhabile, un amoureux transi, redécouvrant, comme un ado de 15 ans, les émotions d’un amour éphémère s'émerveillant des joies sensuelles de l’amour.

4) Bacri par Adjani

En 2003, Jean-Pierre Bacri est l’invité de Michel Fields dans l’émission Comme au cinéma. Durant l’émission, le présentateur fait écouter un enregistrement au comédien en lui annonçant "il y a une femme qui va vous parler au téléphone et qui va vous dire des choses qu’elle ne vous a peut- être pas dite". Bacri, sourcil froncé et main dans le menton, regarde avec suspicion l’homme qui se trouve en face de lui, tandis que la voix de la mystérieuse femme se fait entendre. Une voix claire et limpide, un brin fragile, celle d’une femme qui se souvient d’un tournage avec l’acteur et de la passion qu’elle éprouvait à le regarder exécuter sa scène depuis le petit moniteur de cinéma. D’abord méfiant, fermé, le visage de Bacri se déride quand il reconnait soudain celle qui lui parle. En voix off, c’est évidemment Isabelle Adjani qui égrène là les anecdotes sur leur collaboration dans le Subway de Luc Besson. Dans ce court enregistrement, Adjani semble cerner en quelques phrases toute la complexité qui fait la grâce de Bacri par ces quelques mots : "Il a l’orgueil de sa modestie."

5) Le « Zaï Zaï Zaï » d'On Connait la Chanson (1997)

C’est bien connu les bandes annonces des films d’Alain Resnais n’ont rien d’ordinaire. Déjà pour Smoking No Smoking en 1993, Sabine Azéma et Pierre Arditi, uniques interprètes du dytique composé d’une dizaine de personnages, se chamaillaient pour savoir lequel des deux films, avec ou sans fumée, fallait-il voir en premier. Dix ans plus tard, pour Pas sur la bouche, André Dussolier, acteur fétiche du cinéaste mais absent au casting, faisait irruption dans ce qui ressemblait à un carton publicitaire et jalousait le rôle de Lambert Wilson. Mais la bande annonce la plus réussie des films d’Alain Resnais est sans aucun doute celle d’On Connait la chanson, et Bacri n’y est pas pour rien. Et quoi de mieux que pour annoncer la sortie en salle d’un film enchanté (les comédiens se livrent tout au long du film à de véritables séances de karaoké permettant de déclamer haut et fort leurs sentiments - du résiste de France Gall à Quoi ma gueule de Johnny) que de faire se succéder les comédiens reprenant des tubes en parlant . Il y a donc d’abord Pierre Arditi qui nous explique joyeusement qu’il s’agit là d’un beau roman d’une belle histoire, d’une romance d’aujourd’hui, puis Sabine Azéma contant l’histoire d’une poupée qui fait non, non, non, non…. Et puis enfin Bacri, costume sombre, regard noir et clope à la bouche, l’air totalement dégouté déballant machinalement sa triste histoire, celle d’un pauvre type attendant, perché sur une colline avec un petit bouquet d’églantine, une bergère à la peau fraîche, en vain… Zaï Zaï Zaï Zaï…

6) Le goût des autres d’Agnès Jaoui (2000)

Si Bacri est affilié aux personnages rabougris et bourrus, il a bien souvent, paradoxalement (et c’est là tout son charme) joué les amants éconduits. En 2000, Agnès Jaoui réalise son premier long métrage Le goût des autres et offre à Bacri (co-auteur du scénario) un rôle de grand enfant amoureux, un peu imbécile et touchant. Dans le film, il incarne Castella, un chef d’entreprise moustachu et inculte, menant une existence banale aux côtés de sa femme (Christiane Millet) qui ne pense qu’à son chien et à orner d’accessoires ultra kitchs la "bonbonnière" qui leur sert de maison. Un soir alors qu’il se rend péniblement au théâtre ("oh putain c’est en vers!") l’homme a une révélation quand Clara (Anne Alvaro) fait son entrée sur scène en Bérénice et déclame sa tirade déchirante. Dans cette utopie sociale taillée sous forme de récit choral et de comédie de moeurs, où seul l’art ébranle le déterminisme de chacun, Bacri est parfait en bourgeois un peu boloss aux convictions arriérées, tentant par tous les moyens d’accéder, par amour, à un monde qu’il ne connait pas (celui de la culture).

7) César 1994 et 1998 : le gauchiste de service et la Nouvelle Vague

Jean-Pierre Bacri ne s’en est jamais vraiment caché, il est un homme politiquement engagé à gauche. Il est d’ailleurs très souvent question de politique dans les interviews que l’acteur donne, comme s’il constituait dans le paysage du cinéma français une sorte de frondeur revanchard. En 1994, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui reçoivent le césar du meilleur scénario pour Smoking No Smoking d’Alain Resnais. Alors que Jaoui remercie timidement l’ensemble de l’auditoire et particulièrement Alain Resnais, Bacri, lui profite de ce moment de grande écoute pour s’adresser directement à Jacques Toubon, ministre de la culture, présent dans la salle, pour défendre l’indépendance de Canal Plus. Quatre ans plus tard, le duo est à nouveau encensé et reçoit le césar du meilleur scénario pour leur nouvelle collaboration avec Alain Resnais sur On connait la chanson, grand gagnant de la soirée (7 statuettes). Ici, nulle déclaration politique, mais un tacle étrangement teigneux à l édifice "suprême" du cinéma français : la Nouvelle Vague. Après avoir dit toute son affection pour le cinéaste Alain Resnais, Bacri conclut : "un grand metteur en scène qui a toujours eu besoin d’un scénario tout en étant de la Nouvelle Vague." Une allocution contestable accueillie dans un mélange d’applaudissement et de sifflets.

8) La vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc (2015)

La crise de la cinquantaine dans une feel good road movie rural et initiatique (joli combo), voilà le programme très calibré de La vie très privée de Monsieur Sim, adapté du livre de Jonathan Coe et piloté par Michel Leclerc. Si le film de Leclerc apparaît comme une gentille oeuvre un brin mièvre et un peu inoffensive, elle offre cependant à Bacri un rôle intéressant, celui d’un homme dépressif, sorte de grand bonhomme hébété et seul, au bavardage incessant, qui ne trouve pour oreille attentive que celle de son GPS, à la voix féminine et monocorde. Bacri, d’habitue taciturne, y est cette fois-ci drôle voir même enjoué et loufoque, passant par des phases d’abattement pré-burn out à des bouffées de bonheur.


Comment la charcuterie nous empoisonne

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"Ne vous laissez pas abuser par la couleur, car il arrive parfois que la viande porte un fond de teint artificiel, acheté chez le droguiste" : "une appétissante et inaltérable couleur rose vif" pour séduire et allécher le consommateur. Ces recommandations ne sortent pas d’un livre de science-fiction, mais bien d’une enquête fouillée de cinq ans sur la charcuterie industrielle, écrite par le journaliste Guillaume Coudray. Dans son livre Cochonneries : comment la charcuterie est devenue un poison (La Découverte, septembre 2017), il pose un contat simple, mais alarmant : pour que le jambon soit rose (et non pas gris, sa couleur naturelle), les géants de l'alimentation lui ajoutent du nitrite de sodium (E250) et/ou du nitrate de potassium (E252), deux additifs cancérogènes au contact de la viande.

Après avoir co-mené il y a un an un documentaire Cash Investigation sur le même sujet, Coudray récidive cette année avec un ouvrage-manifeste discréditant la filière cochon. Avant tout, il cherche à protéger et mettre en garde le public sur les risques des viandes transformées. Il appelle à la vigilance et espère une prise de conscience générale de leur cancérogénicité, face à des lobbys de la viande surpuissants, des fabricants entêtés, et des pouvoirs publics muets. 

Un enjeu de santé publique 

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ, géré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)) a classé les charcuteries dans la catégorie des agents "cancérogènes pour l'homme". Selon les mots de l'OMS, leur consommation peut provoquer le cancer colorectal chez l'homme :  

«Chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée quotidiennement accroît le risque de cancer colorectal de 18%", notent les experts du Circ.

L'Hexagone est particulièrement concernée par ce danger. Le cancer colorectal y est le premier cancer le plus meutrier chez les non-fumeurs, et le deuxième en termes de mortalité dans la population générale. "En France, on évalue à 6 000 à 8 000 le nombre de cancers colorectaux qui pourraient être évités chaque année en réduisant la consommation de produits carnés cancérogènes (charcuterie en premier lieu, viande rouge dans une moindre mesure)", signale Guillaume Coudray.

L'histoire du jambon "moderne"

En plus d’être d’utilité publique, l’enquête de l'auteur est passionnante pour ce qu'elle raconte des des vices de la modernité alimentaire. En remontant aux origines de la charcuterie nitrée, généralisée à l'aune de la Révolution industrielle, l'auteur écrit le feuilleton palpitant de ces décennies clé de l'époque contemporaine. Avec justesse et passion, il raconte les "prémisses de l'industrialisation", et nous transporte à la la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis. Là-bas, dans l'Amérique triomphante, il dépeint l'effervescence du développement, à un âge de tous les possibles, où l'innovation est la norme et les cadences sont infernales.

Si la filière chimique éclot à peine, elle révolutionne rapidement le processus de fabrication des viandes, pour créér des produits carnés standardisés, à grande échelle et à la chaîne, délaissant les techniques traditionnelles pour la mécanisation et le fordisme. Les usines américaines remplacent les charcutiers par des experts chimistes, des meat-scientists et des ouvriers packers.

Dans cette compétition effrenée pour la productivité, le nitrate est incountournable. "Additif miracle" selon Coudray, il permet de réduire les durées de fabrication et le temps de maturation de la viande. Sans additifs nitrés, impossible de produire une viande aussi vite. Seule une maturation longue et minitieuse peut défier ces produits chimiques. Portées par le dogme de la productivité, les firmes américaines généralisent et exportent ces "charcuteries rapides", "instantanées" à toute l'Europe, qui adopte bon gré mal gré ces méthodes.

«C’est le drame des charcuteries et du cancer : le ‘salage chimique’ est tellement avantageux qu’il est partout devenu la norme", regrette l'auteur.

Le procès d'une industrie de la désinformation

Le journaliste ne se contente pas de cette chronique historique. Il fait aussi le procès des multinationales agro-alimentaires, et révèle un scandale sanitaire. Dès les années 1970, les scientifiques découvrent avec surprise le pouvoir cancérogène du nitrate et du nitrite sur les viandes transformées. Mais leurs recherches laissent les fabricants imperturbables. Ces derniers ne peuvent se résoudre à admettre la nécessité de supprimer les additifs nitrés de leurs produits. Pire, pour continuer à les utiliser, ils brandissent l'arme du mensonge.

«C’est à partir de ce moment que le drame devient scandale : lorsque, pour justifier l’usage des additifs nitrés qu’on découvrait cancérogènes, les charcutiers industriels y ayant massivement recours ont dû commencer à mentir…", s'insurge l'auteur.

Coudray brosse un portrait ahurissant des ressources des géants alimentaires pour déguiser et masquer la vérité. Dans une course à l'imposture et à la mauvaise foi sensationnelle, ils trouvent toutes les raisons possibles et imaginables pour conserver les additifs nitrés dans leur recettes. Patiemment, l'auteur s'attelle à démonter un à un leurs arguments, aussi farfelus soient-ils.

L'ère de la post-vérité et des fake news ne semble alors plus si nouvelle. A l'image des lobbys du tabac, les lobbys de la viande édifient des stratégies de désinformation, pour "brouiller le péril du cancer". Ils décident de combattre les scientifiques sur leur propre terrain, et financent "une science contre la santé". "Une autre recherche qui s’attelle à saper les savoirs existants et n’est menée que pour créer le doute, une science construite uniquement pour rassurer et retarder l’action des instances réglementaires", selon les mots du philosophe Mathias Girel. Tous les coups sont permis, entre manipulation d'enquêtes officielles, conférences scientifiques truquées, et paiement de chercheurs moyennant la réalisation de fausses études en faveur du lobby.

Une touche d'optimisme

Bien que révoltante, l'enquête de Guillaume Coudray garde un fond optimiste, et s'ancre dans le journalisme de solution. Face à ces constats démoralisants, pas question de devenir végétariens. Le journaliste ne plaide pas pour la fin des viandes transformées, mais pour la consommation d'une charcuterie non cancérogène, sans nitrite ni nitrate. Certes, moins rose, mais bien meilleure pour la santé. Si Fleury Michon a récemment mis en magasin deux références de jambon sec sans additifs nitrés, peu de produits vendus dans les supermarchés français sont épargnés par le nitrite - même s'ils sont bio ou d'Appellation d'origine contrôlée. 

Mais Guillaume Coudray rêve d'une remise en question de l'industrie charcutière française, pour un retour des techniques traditionnelles. A l'instar des producteurs de jambon de Parme, qui ont décidé dans les années 1990 de ne plus employer aucun additif nitré.

"Car finalement, qui décide ?, s'interroge l'auteur […] Combien de temps une activité commerciale peut-elle survivre en plaçant le mensonge au coeur de la relation client ? A l’âge d’Internet et des réseaux sociaux, il va être de plus en plus compliqué de cacher que les traitements nitrés rendent la charcuterie inutilement cancérogène. […] Qui achètera encore longtemps le jambon nitré alors que certains fabricants proposent aussi du jambon, le cancer en moins?"

Guillaume Coudray, Dans son livre Cochonneries : comment la charcuterie est devenue un poison, La Découverte, septembre 2017.

Cinq sorties DVD à ne pas manquer au mois d'octobre

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Félicité d'Alain Gomis (2017)

avec Véronique Beya Mputu, Papi Mpaka

20 euros, éditions Jour2fête

L'un des plus beaux films de l'année, récompensé par le Grand prix du jury au dernier festival de Berlin. L'histoire d'une chanteuse de Kinshasa et de ses amours compliquées sur fond de misère sociale et politique terrifiante. Un film qui plane grâce à sa musique, géniale, qui permet de supporter le cauchemar quotidien d'un Etat qui n'existe plus.

El Gaucho de Dino Risi (1964)

avec Vittorio Gassmann, Nino Manfredi, Silvana Pampanini.

20 euros, en Blu-ray, Esc éditions

Un très beau film, inédit en salles en France, donc méconnu. Sans doute parce qu'il décrit une situation très italiano-italienne (quand même assez facile à comprendre) : la rencontre entre immigrés italiens enrichis en Argentine, qui se sentent plus italiens que les vrais Italiens, et un attaché de presse romain horrible et cynique (Vittorio Gassmann, à fond les ballons), qui va quand même finir par craquer pour aider un de ses vieux et meilleurs amis. C'est de la pure comédie italienne, très vacharde, sans pitié, mais il y a toujours un moment où l'humain ressurgit sous la cruauté. Une vraie rareté.

L'amant d'un jour de Philippe Garrel (2017)

Avec Éric Caravaca, Esther Garrel, Louise Chevillotte

20 euros, chez Blaq out.

Le dernier film à ce jour de Philippe, l'un de ses plus sereins, affectueux. On sent chez lui une vraie tendresse pour ses personnage, notamment féminins. En même temps, on sent chez lui que lui, l'homme de soixante-dix ans, n'a peut-être jamais rien compris à la sexualité féminine et qu'il cherchera jusqu'au bout à comprendre cette altérité. Les deux actrices (dont sa fille Esther), toutes deux remarquables, forment un duo féminin déchirant. Eric Caravaca, quand il appelle sa fille "Ma fille", vous arrache des larmes. Et puis il n'y a pas de cynisme dans ce cinéma-là : l'amour, dit le film, ça fait mal, très très mal, jusqu'à songer au suicide. Magnifique.

Plus jamais seul d'Alex Anwandter (2017)

Avec Sergio Hernandez, Andrew Bargsted

20 euros chez Epicentre

Un jeune homme est victime d'un acte de violence homophobe. Son père conservateur découvre à cette occasion que son fils était homosexuel et contrairement à tout ce qu'on aurait pu croire, se rapproche de son fils. Un film qui dénonce l'homophobie des institutions chiliennes et porte un regard bienveillant sur les pères censés être réacs, capable de dépasser leurs préjugés de classe et de génération par amour.

Vivre ensemble d'Anna Karina (1973)

Avec elle-même et Michel Lancelot

20 euros chez M6 Vidéo

Une vraie découverte et une vraie curiosité : le film réalisé par Anna Karina en 1973 avec Michel Lancelot, homme de radio et de télévision alors très connu, dans la mouvance de 68. L'histoire d'un professeur d'histoire qui après être tombé amoureux d'un jeune femme fantasque et avoir eu un enfant, perd tous ses repères, devient alcoolique, violent, tandis que la jeune femme trouve peu à peu un équilibre. Le film fut montré à Cannes la même année que La Maman et la putain et La Grande bouffe, deux films également produits par Jean-Pierre Rassam et qui firent eux aussi scandale.

Heures sup' non payées, salariés sans papiers : les forçats de Burger King sont en colère

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Il y a quelque chose de pourri au royaume du burger. Tout commence chez Albiance, entreprise choisie par Burger King pour assurer le nettoyage de ses enseignes. Suite à de nombreux signalements d'employés de cette société, une dizaine de restaurants de Burger King sont contrôlés par l’Inspection du travail à Paris, dans la nuit du lundi au mardi 3 octobre. La raison ? Depuis des mois, de nombreux salariés se plaignent de ne pas avoir reçu de paye en adéquation avec le travail fourni. Une situation aberrante, qui ne passe pas auprès de la CGT (Confédération générale du travail), qui a suivi de près le dossier comme l'a révélé Libération.

Esclavage moderne ?

Certains salariés effectuaient six heures de travail ou plus, et n’étaient payés que trois. Le récit de Zoubir, qui travaille au Burger King de République, est particulièrement éloquent. Nous le rencontrons dans un parc du 17e arrondissement, où il a ses habitudes. "J'ai été embauché le 21 décembre 2016. J’ai eu mon contrat le 13 janvier 2017, et du 21 décembre au 13 janvier, on ne m’a pas payé. Pendant cette période, je n’ai pas eu de jours de repos non plus", témoigne-t-il. D'origine marocaine, titulaire d'un bac+2 dans le domaine de l'aéronautique, Zoubir ne s'attendait pas à ça en arrivant en France. "Mon recruteur [chez Albiance] m’a demandé d’acheter une fausse pièce d’identité. Je lui ai demandé : ‘où ?’. Il m’a dit ‘tu pars à Barbès’". Achraf, un collègue de Zoubir, nous rejoint dans le parc et corrobore les propos de son ami. "Moi, on m'a carrément donné les numéros de téléphone pour les faux papiers", atteste-t-il.

Après avoir payé de sa poche sa fausse carte d'identité, Zoubir pense que ses ennuis étaient finis. Mais au contraire, les maltraitances s'accumulent. Le travailleur ne compte pas ses heures. "On commençait à minuit, pour parfois finir à sept heures du matin", confirme-t-il. Sur sa fiche de paie, seules trois heures de travail apparaissent. Sommés de travailler avec des produits dangereux, certains de ses collègues risquaient de graves accidents. "C'est de la responsabilité de Burger King, ils devaient nous fournir le matériel de protection", s'indigne-t-il. Cette fois c'en est trop. Sur les conseils d'un de leur collègue, ils s'adressent à la CGT.

"Ce sont les travailleurs qui nous ont contactés, parce qu’ils étaient victimes de surexploitation. Il y avait de plus un système très bien huilé de recrutement de ces salariés via des fausses cartes d’identité italiennes ou portugaises", confirme Marilyne Poulain, de l’antenne parisienne de la CGT. Les revendications s’accumulent : le paiement des heures impayées, la régularisation de leur situation, mais également la question de l’hygiène et de sécurité. Les travailleurs précaires devaient payer eux-mêmes une grande partie de leur matériel.

Une grève éclair

Ils sont d’abord une dizaine de salariés à se mobiliser. Puis ce sont 27 grévistes, dont 24 sans-papiers, qui montent au créneau, mardi. Suite à un mouvement de grève de deux jours (mardi et mercredi) soutenu par la CGT, les employés d’Albiance obtiennent gain de cause. "Nous avons conclu un accord avec la Préfecture de police sur la régularisation des employés", confirme Marilyne Poulain. Régularisés, les travailleurs pourront faire valoir leur droit, et notamment se voir payer les heures non rémunérées. "Pour nous, c’est une victoire", se réjouit Marilyne Poulain, tout en précisant que le combat continue, puisque "l’aspect technique du paiement des heures non payées" doit encore être abordé. La mobilisation des travailleurs n’a pas été de tout repos. Il y a eu "des pressions de la part de certains collaborateurs de l’entreprise Albiance", nous indique la CGT. Une information confirmée par Zoubir. "Il y avait des pressions directes et indirectes", révèle-t-il. Menaces de licenciements, de les dénoncer aux autorités, tous les moyens sont bons pour maintenir les ouvriers dans leur état de servitude.

En marge de la grève, les négociations partent d'abord du mauvais pied. "Mardi on a eu une négociation avec Albiance et Burger King, qui n’a pas abouti. Mercredi, notre réunion a enfin abouti à un accord", rapporte la CGT. La négociation tripartite a néanmoins été efficace, puisque la situation est désormais débloquée. "Il s’agit d’une régularisation dérogatoire, insiste Marilyne Poulain, car d’habitude la régularisation les salariés à temps partiel sont exclus de la régularisation par le travail".

«Nous avons conclu un accord avec la Préfecture de police sur la régularisation des employés", confirme Marilyne Poulain

La loi du marché

Les méthodes employées par la société de nettoyage sont monnaie courante dans le milieu des emplois de nuit. La précarisation de ces salariés, majoritairement immigrés, en situation irrégulière et travaillant à temps partiel, pose problème. Plus fragiles, ces travailleurs ne sont forcément au courant de leurs droits. Des droits, ils n’en ont d’ailleurs pas beaucoup, puisqu’ils ne sont pas protégés entièrement par le Code du travail. D’où l’impérieuse nécessité de la régularisation, sésame accordant le droit à travailler dignement.

"On sait très bien que ces entreprises-là, si on ne régularise pas les salariés, elles vont procéder à un turn-over de travailleurs sans-papiers. Elles licencient les employés actuels, ferment l’entreprise, en rouvrent une autre et ainsi de suite", décrypte la syndicaliste. Le turn-over, une pratique courante dans les secteurs en tension où l’on embauche massivement à temps partiel. "Aide à domicile, restauration collective, grande distribution, nettoyage", énumère Marilyne Poulain. Dans bien des cas, le travail de nuit est une source insuffisante de revenus. "Le jour, je fais l'électricité sur les chantiers, ou alors je travaille sur des marchés", dévoile Zoubir, un sourire triste sur les lèvres.

Certaines pratiques typiques de turn-over ne sont pas sans rappeler celles d’Albiance. "L’entreprise était censée être en redressement judiciaire. Ils rejettent d’ailleurs la responsabilité sur un de leur collaborateur" abonde la CGT. Seule la justice, si elle est saisie, pourra faire la lumière sur ce système opaque et sur cette entreprise fantôme. La situation ne risque pas de s’arranger, notamment à cause de la précarisation à venir, contenue en germe dans la loi Travail du gouvernement d’Emmanuel Macron.

Pour Zoubir et Achraf, l'heure n'est plus à lutte, même si le combat continue. "Là, je vais aller me manger un couscous avec des amis, pour fêter notre victoire", lance Achraf.

Laurent Ruquier revient sur la polémique Angot/Rousseau dans ONPC

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Laurent Ruquier ne pouvait pas faire l'impasse sur une polémique qui a enflé toute la semaine suite aux interventions houleuses de Yann Moix et de Christine Angot face à Sandrine Rousseau. L’ancienne secrétaire nationale adjointe d’EELV était venue promouvoir son livre Parler dans lequel elle raconte l’agression sexuelle dont elle affirme avoir été victime de la part de Denis Baupin.

Avec solennité, Laurent Ruquier a ainsi répondu à la polémique en défendant les valeurs de son émission.

"Si Yann Moix et Christine Angot ont montré trop violemment peut-être leur désaccord sur la forme, il va de soi que personne sur ce plateau n’a remis en cause le bien-fondé de l’engagement de Sandrine Rousseau. Et si nous l’avons invitée, c’est bien pour partager son combat dans la lutte contre les violences faites aux femmes et dans aucun autre but que celui-là". 

Pour Ruquier, cette altercation n'était qu'un affrontement entre "deux victimes" qui ont "exprimé leur douleur, différemment certes, mais avant tout exprimé leur souffrance, chacune à sa façon. Il fallait n’y voir rien d’autre". 

Ruquier règle ses comptes

Avant de conclure, le patron du talk show de France 2 s'en est pris commentateurs et à ceux qui ont selon lui nourri la polémique.

"Parmi tous ceux qui, depuis une semaine, attaquent l’émission, pétitionnent, crient même au boycott, il y a sûrement des téléspectateurs que la séquence a sincèrement mis mal à l’aise, mais j’y vois aussi des raisons bien éloignées de la cause féminine, de l’ignorance aussi parfois".

Sur Twitter, certains ont regretté que Laurent Ruquier ne se soit pas excusé du montage (présentant les larmes de Sandrine Rousseau et occultant la sortie furibonde de Christine Angot) ou pour les violences faites aux femmes.

Foot, golf et basket : la Switch se met au sport (et c'est très chouette)

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Depuis le lancement de la Switch en mars dernier, c’était l’un des points faibles de sa ludothèque. Si la plupart des grands genres vidéoludiques y étaient représentés, du platformer au jeu de course en passant par le rhythm game ou la baston, les simulations sportives manquaient cruellement à l’appel, seulement représentés par un NBA Playgrounds plaisant mais limité et le génial mais pas très neuf Neo Turf Masters, paru à l’origine sur Neo-Geo en 1996. La situation est heureusement en train de changer et, en attendant la petite baballe jaune (avec Tennis World Tour, annoncé comme l’héritier du grand Top Spin) ou le ski (si Steep, dont le développement ne semble pas de tout repos, finit par sortir un jour), le sport est au centre de trois nouveaux jeux de la Switch. Spoiler : ils sont tous bien. Mais le plus marquant n’est pas forcément celui qu’on croit.

FIFA 18

La précédente console de Nintendo, la mal-aimée Wii U, n’avait eu droit qu’au millésime 2013 du plus populaire des jeux de foot (qui s’invita cependant sur Wii, mais dans une certaine discrétion, les deux années suivantes). La sortie de FIFA 18 sur Switch fait donc figure d’événement, d’autant que, si elle ne peut rivaliser sur le plan technologique avec celles des nettement plus puissantes PS4 et Xbox One, cette version est tout sauf bâclée. Certains – dont nous sommes – regretteront l’absence de plusieurs options, dont l’entêtant mode "Aventure" apparu dans FIFA 17 et bien présent chez la concurrence, mais on choisira de voir le verre aux deux-tiers plein plutôt que ce qui lui manque pour l’être complètement.

D’autant que l’intérêt de FIFA 18 sur Switch naît d’abord de l’usage qu’il est possible d’en faire, à deux (en se saisissant chacun de l’une des mini-manettes de la console et en profitant d’un système de contrôle simplifié) mais aussi en solo. Et peut-être même surtout tout seul : FIFA 18 en mode portable, c’est une version alternative de la réalité footballistique rien que pour soi. C’est, quelle que soit l’heure, loin des regards, nous projeter en Neymar. C’est, instantanément, quand le cœur nous en dit, nous mesurer à Messi. C’est refaire le vrai match de la veille ou anticiper celui du lendemain, juste pour voir, juste pour soi. C’est, plutôt qu’une simulation qui, en colonisant le salon, nous engloutit, un jeu de foot qui nous accompagne et nous tient compagnie. C’est (presque) tout ce qu’on espérait de cette adaptation de FIFA.

NBA 2K18

Autre mastodonte de la simulation sportive, NBA 2K avait lui aussi snobé la Wii U au-delà de sa version 2013. Mais, contrairement à FIFA, la reine des simulations de basket s’offre un retour chez Nintendo sans faire de sacrifices en matière de contenu par rapport aux autres consoles. C’est sa grande qualité et aussi, paradoxalement, sa principale limite, du moins dans l’attente d’une mise à jour qui règlerait les problèmes du jeu, promise par son éditeur mais toujours pas disponible au moment de la rédaction de cet article. Car, en l’état, NBA 2K18 donne l’impression d’être un peu trop gros pour la console qui le fait tourner, en particulier dans le mode "Ma carrière", équivalent de l’"Aventure" de FIFA, où la bande son des scènes cinématiques, curieusement décalée, a une fâcheuse tendance à se terminer bien avant l’image, nous laissant face à des basketteurs muets qui bougent au ralenti.

C’est dommage car, quand ses bugs et ses temps de chargement nous laissent profiter du sport lui-même, NBA 2K18 se révèle merveilleux. Sa beauté est double : elle réside dans son appréhension du basket américain comme une culture à part entière (avec son langage, ses rituels, ses héros...) et, en même temps, dans sa manière de nous plonger dans le jeu  lui-même, dans cette réalité où la circulation du ballon prime sur tout le reste. C’est une affaire de gestes, de tempo. C’est quelque chose que, bientôt, on ressent intimement. C’est sidérant.

Golf Story

Invité surprise de cette sélection, Golf Story n’est pas une simulation sportive à proprement parler, pas vraiment un jeu de golf, mais plutôt un jeu sur ou avec le golf, qui y est omniprésent. Dans un style (graphique, mais aussi narratif) rappelant les jeux de rôle japonais des années 1990, de Earthbound à Chrono Trigger (et, plus directement, le Mario Golf GameBoy de 1999), l’œuvre du mini-studio (australien, semble-t-il) Sidebar Games nous lâche dans un monde joyeusement fantaisiste dans lequel tout ou presque se règle un club (de golf, donc) à la main.

A la fois rigoureux (dans son système de jeu qui ne dépaysera pas trop les vétérans du golf virtuel) et facétieux (on doit éviter les taupes qui rôdent sur le green et ne manqueraient pas de s’emparer de notre balle, viser les poissons dans l’eau pour leur donner à manger ou un petit baigneur à qui sa mère demande de revenir sur la berge), Golf Story enchante par sa qualité d’écriture et sa variété. Et rejoint étrangement NBA 2K et FIFA en s’appuyant sur l’idée qu’un sport, ce n’est pas qu’une affaire d’adresse et un défi physique mais, aussi, une activité (et les siennes sont aussi nombreuses que stimulantes) productrice de récits – un match, une compétition, c’est une histoire qu’on (se) raconte, pendant et après. Celles qui rythment cette aventure sont parmi les plus charmantes qu’on ait rencontrées sur une console depuis bien longtemps. On en ressort avec la certitude que le golf, c’est la vie – sans doute la meilleure preuve du triomphe de Golf Story.

FIFA 18 (Electronic Arts), sur Switch, PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC, de 45 à 60 €

NBA 2K18 (Take 2), sur Switch, PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC, de 35 à 60 €

Golf Story (Sidebar Games), sur Switch, 14,99€

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